mercredi 5 juin 2013

L'Histoire au carrefour de Tergnier


Avant de commémorer le débarquement de Normandie, le cortège ira s'incliner demain, jeudi 6 juin à 18h15, sur la stèle érigée en 2010 en l'honneur du 32e R.I., au pied du bévédère de la Cité qui servit de poste d'observation, et à côté de l'ancienne ferme Carlier transformée en mai 40 en dépôt de munitions.



Quelle mouche a bien pu piquer les anciens combattants pour qu’ils commémorent demain, Chaussée Brunehaut, un anniversaire de la bataille de Tergnier célébré d’ordinaire et depuis des lustres sur la stèle de la rue Hoche ?
La réponse est on ne peut plus pragmatique : le 73e anniversaire de la terrible bataille de Tergnier ne sera pas célébré rue Hoche pour cause de travaux.
Le cortège s’inclinera du coup sur la stèle érigée en 2010 au pied du belvédère de la Chaussée Brunehaut à l’occasion du 70e anniversaire de cette bataille. Un simple changement de cadre qui frappe opportunément les esprits quant au sens de ce rassemblement du souvenir.
Sous l’effet mécanique soporifique des habitudes, Tergnier avait fini, en effet, par assimiler sa bataille de mai et juin 40 à un long et meurtrier duel franco-allemand autour du canal de Saint-Quentin, dans le secteur du pont de la rue Hoche que le proche voisinage d’une stèle et d’un boulevard dédiés au 32e R.I. semble désigner comme épicentre des évènements.
La réalité est tout autre. Entre le 18 mai et la nuit du 6 et 7 juin 1940, c’est l’ensemble de l’agglomération ternoise, de Viry-Noureuil et Condren au sud jusque Mennessis au nord, qui fut le théâtre de violents combats. Une ligne de front d’une dizaine de kilomètres au total, abusivement assimilée à une hypothétique débâcle de l’Armée française. Pire qu’un abus, il s’agit là d’une véritable hérésie tant il est vrai que la bataille de Tergnier incarne tout sauf la débâcle.
Resituons les évènements dans leur contexte : la France a concentré l’essentiel de ses efforts de défense sur sa frontière est lorsque l’Armée Allemande ouvre les hostilités sur le terrain neutre de la Hollande, de la Belgique et du Luxembourg durant la nuit du 9 au 10 mai 1940.
Le haut commandement français se révèle être une nouvelle fois totalement à côté de la plaque trois jours plus tard lorsque les Allemands poussent leur offensive principale dans les Ardennes qu’il jugeait infranchissables.
Les blindées ennemis passent la Meuse et se ruent à travers les Ardennes et la Thiérache avant de foncer, pour partie vers Le Cateau, pour l’autre vers Saint-Quentin via Montcornet.
La France, avec son appareil militaire hérité d’une autre époque, s’est tout simplement trompée de guerre. Il lui faut sortir de sa léthargie, se ressaisir, se réorganiser à l’aune des réalités qui la submergent et, pour tout cela, commencer par sauver ce qui peut l’être encore, pour l’heure acculé dans ce qui devient la poche de Dunkerque. C’est l’ultime échappatoire vers une seconde chance dont le Général de Gaulle lancera le signal le 18 juin suivant.
En attendant, il faut stopper la progression allemande vers cette poche ; pour le moins la retarder afin d’organiser l’évacuation de quelques 338 000 hommes, Anglais et Français pour l’essentiel.
C’est dans ce contexte que le 32e R.I. tiendra vingt-trois jours durant un ennemi deux fois plus nombreux sur les rives est et sud du canal de Saint-Quentin, avant de recevoir lui-même l’ordre de repli durant la nuit du 6 au 7 juin par suite du franchissement allemand de la Somme.  Au prix – faut-il le préciser ? – de lourdes pertes humaines qui permirent d’en épargner de beaucoup plus nombreuses encore un peu plus au nord.
Tergnier décidément, semble être vouée à être le théâtre des grands sacrifices de l’Histoire moderne.
Au printemps 1917 déjà, le 113e R.I. s’était illustré sur le même site, sur les berges du même canal, pour enrayer l’offensive allemande sur Paris. Une similitude qui renvoie à l’histoire même de la ville, à sa position stratégique au carrefour des vallées de l’Oise et de la Somme ; celle-là même qui lui valut d’être un carrefour fluvial avant de devenir un carrefour industriel puis ferroviaire. Un carrefour de tous les temps, de tous les rêves d’avenir et de toutes les tensions dont le tissu associatif ancien combattant aspire à faire également celui des générations. Il y va bien moins au final de «  devoir de mémoire » que de compréhension de l’histoire collective.

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